sam 20 avril 2024
Tradition - Le repas du cochon

Le cochon, base de l'alimentation des montagnards Ariégeois, vivait le plus souvent au rez-de-chaussée de la maison dans la soue poucirgo. C'est là que du mois de septembre, où l'on achetait le (ou les) porcelet(s), jusqu'à l'hiver de l'année d'après, il engraissait en dévorant les légumes et pâtées que leur portait la femme de la maison toujours chargée de la basse cour. La nourriture se composait exclusivement des légumes ou fruits cultivés par le foyer : pommes de terre, betteraves, navets, pommes, choux, blettes etc... auquel s'ajoutaient les orties (il fallait se lever de bonne heure pour en trouver !) et les mourassous qu'il fallait aller chercher bien loin, jusqu'à la montagne d'Orlu. Le tout était cuit pendant de longues heures, soit dans une grande marmite en fonte située au-dessus d'un foyer, la chaudièra, soit dans le chaudron, le païrol ou la païrolla, dans la cheminée. Ecrasés avec un pilon, les légumes étaient arrosés de son (le brèn) avant d'être servis au cochon. Le chaudron était versé dans une auge en pierres taillées, le naouc. Les chiens et les poules profitaient aussi de cet excellent repas. Les sorties du cochon étaient restreintes : une à deux promenades par semaine dans la cour et c'était tout.

Ainsi dorloté, notre cochon, à l'âge de deux ans environ, arrivait au poids respectable de 200 à 240 kilos.

Le jour fatidique arrivé, dès que l'équipe hommes (entre 6 et 8) et femmes était au complet, le matériel mis en place , celui qui saignait le cochon, le tuairo, (1) se dirigeait avec autres hommes vers la soue : il fallait attraper le cochon et l'amener sur le lieu du sacrifice. Le poste de chacun était fixé. Deux hommes jeunes et solides prendraient le cochon par les oreilles, un autre s'occuperait de la queue. Il arrivait que des hommes vieillissants et n'offrant plus toutes garanties soient relégués vers l'arrière du porc. C'était l'offense suprême mais il fallait s'y plier puisque le groupe l'avait décidé !

Le tueur prenait un fer recourbé aux deux extrémités, le gantchou (2). Un côté présentait une petite courbure et était très pointu, l'autre avait un cintre de bien plus grand diamètre. (On peut voir ce fer dans les mains du tueur sur la photo ci-contre).
Le côté affûté était, sans ménagement, planté sous la tête du cochon qui sous l'effet de la douleur suivait. La porte de la soue passée, chacun prenait sa place, les uns aux oreilles, l'autre à la queue. L'équipage tirait donc le cochon qui poussait des "crouic crouic crouic" que chacun de nous a encore à l'oreille, vers la table d'opération. Il s'agissait souvent de la maie, mèi, que l'on avait retournée.
Ici tous les hommes présents entraient en action. Le tueur toujours à la tête, les deux qui tenaient les oreilles prenaient les pattes avant, deux autres prenaient les pattes arrière et le dernier toujours avec sa queue. Le cochon était renversé sur la maie puis ramené vers l'avant afin que sa tête se trouva dans le vide. Le tueur passait alors le côté large du crochet en fer autour de sa cuisse ce qui avait pour effet de maintenir la tête du cochon tout en libérant les mains de l'officiant.

(1) Les tueurs étaient au nombre de trois ou quatre par village car, comme vous allez le voir, c'était un travail très délicat dont dépendait la conservation du porc et donc la nourriture de la famille pour l'année à venir. Celui que vous voyez officier ici était l'un des plus renommés Marius BOMPART, frère de Baptistin, qui avait été formé par son père Henri, lui aussi grand tueur de cochons devant l'éternel.

(2) Avant l'arrivée de cet instrument de torture très efficace, on se servait d'une petite corde solide, le courdill, que l'on passait autour du groin et de la tête du cochon à la manière d'un licol de cheval (mouraillaben lè porc). Il arrivait assez souvent que le cochon se détache et se sauve, ce qui provoquait une belle panique suivie d'une belle engueulade, chacun accusant l'autre d'être la cause de l'échec et enfin de franches rigolades dans tout le village pendant des années.


Le tueur prenait son couteau, a gabineto, très pointu et affûté pour l'occasion. Après avoir rasé les poils de la gorge du cochon, tâté longuement cette gorge afin de bien repérer l'artère, d'une main sure il plantait son couteau et sectionnait cette artère. Le sang jaillissait en un jet tendu, par saccades au rythme des pulsations cardiaques et était récupéré dans un chaudron ou un seau, tenu par une femme, dans lequel on avait mis du vinaigre afin d'éviter que le précieux liquide ne se caille.


Le mélange sang - vinaigre, était touillé sans arrêt à l'aide d'un bâton, souvent en noisetier : la barèjo.

Le cochon, alors que son corps se vidait de son sang, était d'un grand calme. Mais les hommes devaient rester très vigilants et concentrés en attendant les derniers soubresauts qui faisaient se détendre les quatre pattes très vivement dans tous les sens. C'était le conseil répété chaque fois aux jeunes : attention aux secousses, gà aï soucadidos. Il vrai que si une patte échappait, ce pouvait être très dangereux pour le visage des hommes. Il y a eu de nombreux accidents.





Quand, de l'avis général, le cochon était déclaré mort, on le descendait de la maie et on retournait cette dernière.
Deux chaînes en fer longues de 2 à 3 mètres, lès tirans, étaient déposées en travers de la maie de telle sorte qu'elles débordent sur les côtés. L'animal était posé dans la maie sur les chaînes. Il fallait lui enlever les poils, le pèla.



La maîtresse de maison avait fait chauffer de l'eau qui devait être juste à point à ce moment : surtout ne pas avoir trop bouilli car : i as coupat la forço, (littéralement "tu lui as coupé la force") disaient les hommes en colère.

Le cochon était donc ébouillanté.




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